Honoré de Balac : L'Illustre Gaudissart et La muse du département

L’illustre Gaudissart et La Muse du département sont deux petits romans de Balzac réunis sous le titre générique de Les parisiens en province et publiés en 1843. Dans les deux cas, ces romans ont été remaniés par l’auteur pour figurer dans la Comédie humaine. Les versions antérieures, souvent plus longues, n’ont pas été retenues. Bien entendu, nous sommes toujours dans ce grand ensemble des Études de mœurs, plus particulièrement dans les Scènes de la vie de province dans lesquelles prennent place des romans célèbres comme Ursule Mirouët et Eugénie Grandet dont j’ai déjà fait les comptes rendus.

L’illustre Gaudissart présente le portrait d’un Parisien qui exerce la profession de commis-voyageur. Ce Joe-Connaissant, comme on dit au Québec, parcourt les routes de campagne pour vendre à des paysans qui souvent il méprise des abonnements à des journaux, des assurances et autres produits dont ils n’ont pour la plupart aucun besoin. Ce roman, qui se lit d’une seule traite, s’apparente à une énorme blague qu’un habitant de Vouvray, une petite ville de Touraine, joue à Félix Gaudissart. Le tout aurait pu connaître une fin tragique mais Honoré de Balzac a préféré donner à ses lecteurs une fin heureuse à cette histoire qui, en effet, s’achève par un bon dîner dans une auberge de la région. Les Parisiens sont ridiculisés par les ruraux qui s’avèrent moins bêtes qu’on le croyait… Mais ce roman rigolo n’est pas dénué de dimension sociale. En 1843, nous sommes loin de la société de consommation telle qu’on la connaît depuis une cinquantaine d’années. N’empêche que Balzac se permet une critique percutante du monde moderne en s’attaquant au matérialisme frénétique qui agite de nombreuses personnes de ce temps-là.

Dans le roman suivant, La Muse du départementBalzac dresse le portrait de madame de La Baudraye, une jeune fille de province qui brille dans son milieu mais dont le lustre se ternit dès qu'elle croise une Parisienne. L'intrigue se déroule à Sancerre, une petite ville sise entre Tour et Nevers. On le sait, l’opposition Paris-province est un thème récurrent chez Balzac, rarement en faveur des Parisiens, d’ailleurs, et ce roman en constitue encore une fois le témoignage éloquent. Voici ce que pense Honoré de Balzac lui-même de cette opposition : « Cette observation indique une des grandes plaies de notre société moderne. Sachons-le bien : la France au XIXème siècle est partagée en deux grandes zones : Paris et la province ; la province jalouse de Paris, Paris ne pensant à la province que pour lui demander de l'argent. »

Dans la première partie du roman, Balzac nous décrit l’ascension de Polydore Millaud dit La Baudraye, lequel a réalisé un bon coup en épousant Dinah Piedefer, une jeune femme jolie et brillante, peu fortunée, certes, mais de bonne noblesse. En deuxième partie, la grande dame de Sancerre reçoit la visite d’Étienne Lousteau et d’Hector Bianchon, deux enfants du pays qui sont, l’un comme l’autre, des personnages récurrents de la Comédie humaine. Lousteau mène grand train de vie à Paris. Il est en quelque sorte l’archétype du poseur, journaliste et écrivain suffisamment connu pour impressionner la gente féminine. Il use de son talent, par ailleurs surfait, pour conquérir des femmes qui savent se montrer généreuses à son endroit. Bref, on n’est pas loin du gigolo contemporain… Sous le charme, Dinah tombe dans le panneau en nouant une relation soutenue avec cet homme aussi frivole que volage. Enceinte de lui, elle descend à Paris pour s’y installer, profitant des fonds de son époux, beaucoup plus vieux qu’elle. Celui-ci, en cela très provincial, du moins comme Balzac nous dépeint cet autre archétype, préfère s’enrichir grâce à la spéculation agraire plutôt que de courir les salons. Il réussit tant et si bien ses affaires qu’il finit par obtenir quelques décorations et, surtout, un titre de baron. Il n’en fallait pas plus pour que la nouvelle baronne Dinah de la Baudraye revienne à la maison…

Que penser de La muse du département ? Un roman fort intéressant et, surtout, très structuré (quatre parties, plusieurs chapitres), ce qui n’est pas dans les habitudes de Balzac. Intéressant, écris-je, mais avec quelques longueurs. En troisième partie, pendant quelques chapitres – heureusement très courts – Lousteau commente un texte qu’il est en train d’écrire, ce qui donne lieu à plusieurs disgressions qui ralentissent le déroulement de l’intrigue. Sinon, Dinah quitte son mari et son château de province pour vivre pleinement son amour à Paris et, ce faisant, met en péril sa réputation. Mais contrairement à d’autres personnages du même type, comme la <em>Madame Bovary</em> de Flaubert, par exemple, on n’en fait pas tout un plat… et le tout rentre dans l’ordre pour le bien de tout le monde, sauf pour Étienne Lousteau qui finit par sombrer dans la médiocrité, n’arrivant plus à écrire un texte valable et vivant de plus en plus chichement au crochet d’un peu tout le monde. Cela nous vaut d’ailleurs une réflexion fort intéressante de Balzac sur les difficultés de l’écriture. Écoutons-le s’épancher sur son personnage :

Voici pourquoi. Lousteau vivait de sa plume. Dans ce siècle, et surtout depuis le triomphe d'une bourgeoisie qui se garde bien d'imiter François Ier ou Louis XIV, vivre de sa plume est un travail auquel se refuseraient les forçats, ils préféreraient la mort. Vivre de sa plume, n'est-ce pas créer ? créer aujourd'hui, demain, toujours... ou avoir l'air de créer ; or le semblant coûte aussi cher que le réel.

Le Sancerrois appartenait, par sa facilité, par son insouciance, si vous voulez, à ce groupe d'écrivains appelés du nom de faiseurs ou hommes de métier. En littérature, à Paris, de nos jours, le métier est une démission donnée de toutes prétentions à une place quelconque. Lorsqu'il ne peut plus ou qu'il ne veut plus rien être, un écrivain se fait faiseur. On mène alors une vie assez agréable. Les débutants, les bas bleus, les actrices qui commencent et celles qui finissent leur carrière, auteurs et libraires caressent ou choient ces plumes à tout faire. Lousteau, devenu viveur, n'avait plus guère que son loyer à payer en fait de dépenses. Il avait des loges à tous les théâtres. La vente des livres dont il rendait ou ne rendait pas compte soldait son gantier ; aussi disait-il à ces auteurs qui s'impriment à leurs frais : — J'ai toujours votre livre dans les mains. 

Bref, Dinah de Baufraye, devenue comtesse, est de nouveau une femme honnête et, par le fait même, jouit d’une respectabilité à toute épreuve.

Honoré de Balzac. L’Illustre Gaudissart et La muse du département, c1843.


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