Joseph Conrad : Jeunesse

Tout petit j’adorais les histoires de marin. Comme plusieurs d’entre vous, j’ai lu
L’île au trésor de Stevenson et vu aussi au moins une de ses adaptations télévisuelles. J’ai lu aussi de nombreuses histoires de Barbe-Rouge, une bande dessinée de Charlier et Hubinon. Dans ma jeunesse, donc, j’aimais ces histoires de découvertes, de pirates, de corsaires dont les intrigues, souvent, se déroulaient dans les mers du sud. D’ailleurs, quand j’ai quitté mon pays pour m’installer, pendant plus de six années, dans les îles du pourtour du continent africain (Comores, Cap-Vert), j’étais un peu animé par les souvenirs de mes lectures de jeunesse, même si, après la phase de la découverte, le quotidien a vite repris le dessus…

La jeunesse, parlons-en justement, car c’est le premier titre de cet ouvrage qui en compte deux. Jeunesse raconte l’aventure de Marlowe, un jeune de vingt ans auquel on attribue, pour la première fois de sa vie, un commandement. Lieutenant à bord d’un vieux navire qui a pour nom La Judée, il a pour mission de seconder son capitaine, un vieux monsieur de soixante ans, dans un voyage qui doit les conduire jusqu’à Bangkok. La magie de l’Orient opère dans l’esprit enthousiaste du jeune homme… mais le bateau ne suit pas, et les obstacles (avaries, tempêtes, incendie, etc.) s’accumulent tout au long du parcours. Porté par la mission, l’équipage ira jusqu’au bout, refusant d’abandonner le vieux rafiot tant qu’il se maintient sur les eaux… Le capitaine, le jeune lieutenant et l’équipage termineront leur périple dans de simples embarcations au large de Singapour. Quant au second ouvrage – Au cœur des ténèbres –, il décrit une mission de ce même Marlowe, plusieurs années plus tard, au cœur de l’Afrique sub-saharienne. Mais oublions cet ouvrage pour se concentrer sur Jeunesse, un récit qui m’a littéralement transporté dans le temps et dans l’espace – cet espace indescriptible que constitue l’océan. Je sais qu’à partir d’un certain âge, on dit qu’il faut vivre chaque jour en ne se préoccupant ni du passé (puisqu’il n’est plus) ni de l’avenir (parce qu’il n’est pas encore). Mais Joseph Conrad, lui, se souvient :

« Je me rappelle les visages tirés, les silhouettes accablées de nos deux matelots, et je me rappelle ma jeunesse, ce sentiment qui ne reviendra plus, – le sentiment que je pouvais durer éternellement, survivre à la mer, au ciel, à tous les hommes : ce sentiment dont l’attrait décevant nous porte vers des joies, vers des dangers, vers l’amour, vers l’effort illusoire, – vers la mort : conviction triomphante de notre force, ardeur de vie brûlant dans une poignée de poussière, flamme au cœur, qui chaque année s’affaiblit, se refroidit, décroît et s’éteint, – et s’éteint trop tôt, trop tôt, – avant la vie elle-même. »

La morale de cette histoire est pessimiste puisque la jeunesse – « le meilleur temps du monde » - est derrière nous, et que la vie – celle que nous glorifions jadis – n’est plus non plus, du moins elle n'est plus ce qu'elle était… Mais il nous reste le loisir de se souvenir, de raconter… et c’est ce que Joseph Conrad fait dans ce très beau récit.

Joseph Conrad, Jeunesse, suivi de Le cœur des ténèbres, c1902. Ouvrage libre de droit disponible sur plusieurs plateformes.

Mise en ligne en 2016-10-10

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